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Islam et Christianisme
II. La question de l'Incarnation et de la divinité du Christ Remarque préliminaire Les réflexions contenues dans les pages
précédentes ont montré que le dogme chrétien de la Trinité ne pouvait certes pas
être considéré comme une pure absurdité, fruit de quelque tendance inavouée au
polythéisme, ou d'une mauvaise compréhension de ce que signifie "être un". Au
contraire, chacun a pu voir que ce dogme recèle un contenu de pensée riche,
solide et profond. Si, par conséquent, on le rejette (ce qui reste évidemment le
droit de chacun), que ce rejet ne soit pas brutal et immédiat, comme si l'on
était en présence d'une évidente aberration, ainsi qu'ont tendance à le faire
nombre de musulmans.
slam et
christianisme affirment tous deux que Dieu parle, ou a parlé aux hommes, qu'il
leur adresse ou leur a adressé sa parole. Cette parole constitue le contenu de
la Révélation, et elle est celle-là même que Dieu s'adresse pour ainsi dire à
lui-même de toute éternité, comme nous l'avons fait remarquer d'emblée (voir l'Introduction
de la présente rubrique). Il se trouve affirmé par là même, par ces deux
religions, que la parole éternelle de Dieu est entrée dans le monde des
hommes. Cette "simple" idée doit être considérée attentivement, afin qu'en
soient ensuite tirées correctement les conséquences, et que soient évitée toute
méprise sur la nature exacte de la différence entre islam et christianisme. * * * L'entrée de la parole de Dieu dans le monde implique, de toute nécessité, que cette parole ait adopté ou revêtu un mode d'être conforme au monde, c'est-à-dire qu'elle soit devenue, d'une manière ou d'une autre, un objet du monde, l'une des choses existant dans le monde. On devine d'emblée qu'elle a pris, ce faisant, un risque inimaginable (nous y reviendrons), mais l'on comprend bien qu'elle n'a pu devenir présente dans le monde qu'à cette condition. Sans revêtir un mode d'être propre au monde et à ce qui existe en lui, la parole de Dieu n'aurait pu que demeurer extérieure à celui-ci. Plus précisément, cela signifie que l'entrée dans le monde de cette parole a impliqué son inscription dans l'espace et dans le temps, et même son inscription en une matérialité. Car tels sont les modes essentiels et inévitables de tout ce qui est dans le monde : tout y existe en un certain lieu, en un certain temps, et au travers d'une forme sensible, physique. Deux remarques s'imposent alors. Premièrement, cela ne signifie pas que la parole de Dieu soit ainsi tombée au rang d'un objet quelconque et vulgaire : il faut, au contraire, que sa dignité et son caractère divins soient entièrement préservés. Si son entrée dans le monde, et donc l'adoption par elle du mode d'être propre au monde, avait pour conséquence sa complète défiguration, l'annulation de son essence propre (divine), cela signifierait qu'elle ne pourrait entrer dans le monde qu'en cessant d'être ce qu'elle est : ce qui reviendrait à dire qu'elle ne peut tout simplement pas entrer dans le monde. Cette entrée suppose que soient réalisées parfaitement les deux conditions : il faut que la parole de Dieu pénètre effectivement, réellement et donc "mondainement" dans le monde (sinon elle reste ce qu'elle est mais demeure extérieure au monde), et il faut que cette pénétration en un milieu étranger la laisse absolument intacte (sinon quelque chose entre bien dans le monde, mais ce n'est plus la parole de Dieu). Toute croyance dans l'existence d'une parole de Dieu révélée aux hommes est, nécessairement, croyance dans la possibilité de l'accomplissement simultané de ces deux exigences.
Deuxièmement, s'inscrire dans l'espace, le temps et la matérialité, cela
signifie tout simplement et au sens strict : s'incarner. Prise en
elle-même, en effet, la notion d'incarnation désigne justement cela : le fait
d'entrer dans (in) une chair (caro, carnis en latin), et par
conséquent de revêtir une dimension physique,
matérielle. Même s'il est vrai que, dans le contexte hébraïque où s'enracine la
notion chrétienne d'incarnation, la chair ne désigne pas le corps seul,
mais l'homme tout entier pris sous un certain angle, il reste que l'homme se
caractérise précisément par l'existence en lui d'une dimension matérielle. C'est
pourquoi la notion d'incarnation peut et doit être prise d'abord en ce sens
général d'entrée dans l'ordre de la réalité physique, spatiale et temporelle.
Et réciproquement, toute entrée en en un tel ordre de réalité de ce qui,
auparavant, y était extérieur, est à un degré ou à un autre une incarnation.
* * *
Le dialogue entre islam et christianisme doit, par conséquent, rouler sur la question fondamentale suivante : la parole de Dieu s'est-elle incarnée en des mots et des phrases ou en un homme ? Mais comme le christianisme ne nie pas du tout que la parole de Dieu se soit aussi incarnée en des mots et des phrases (tous ceux, en particulier, qui furent adressés aux prophètes de l'Ancienne alliance), il faut être plus précis et demander : la parole de Dieu ne peut-elle s'incarner qu'en des mots et des phrases, ou aussi en un homme ? C'est cette question (et celles qui en découlent) qui sera étudiée ici. Elle le sera en tenant compte de la double condition dégagée ci-dessus : pour être adressée aux hommes, la parole de Dieu doit à la fois pénétrer réellement dans le monde, et demeurer absolument elle-même en y pénétrant [1]. Retour au sommaire ou Suite : 2. Islam : la Parole de Dieu, qui n'est pas Dieu, s'incarne en des choses (mots)
[1]. Concernant l'incarnation de la parole de Dieu sous la forme de textes, la question de savoir quel(s) texte(s) doivent être reconnus comme réalisant cette incarnation, et donc comme contenant la révélation divine (seulement la Thora ? seulement la Bible ? seulement le Coran ? plusieurs d'entre eux, et dans ce cas lesquels ?), cette question est largement abordée dans la rubrique La question de la Révélation : nous nous permettons d'y renvoyer.
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