Ce qui a été mis au premier plan dans cette
étude, comme on l'a vu, c'est la question de la nature de la Parole éternelle de
Dieu. Il nous semble en effet que c'est ce point, au fond, qui conditionne les
décisions théologiques différenciant l'islam et le christianisme. Car de lui
dépend :
- d'une part, la conception de l'unité de Dieu : unité absolument
immédiate et excluant toute différenciation intérieure, comme l'affirme l'islam
? ou unité comme unification absolue de Personnes ne faisant qu'un dans l'amour
infini, comme le professe le christianisme ? (Première Partie)
- d'autre part, la conception de la manière dont la Parole entre et
demeure dans le monde : sous forme d'un texte plus parfait que tout
autre texte, comme le pense l'islam ? ou sous la forme de ce qui est plus
parfait que tout texte quel qu'il soit, c'est-à-dire d'une personne, comme le
dit le christianisme ? (Seconde Partie)
Selon que la Parole éternelle de Dieu est vue comme ayant la nature
d'une chose ou la nature d'une personne, selon qu'elle est vue comme étant
elle-même Dieu ou comme ne l'étant pas, aussi bien Dieu en lui-même que Dieu
dans son rapport avec le monde seront vus de manière fondamentalement
différente. Et il nous paraît que tous les autres points sur lesquels islam et
christianisme divergent, et dont nous n'avons pas parlé ici (en particulier, des
questions comme celles de la rédemption, de l'eucharistie, de l'Eglise...)
– ces points, pensons-nous, dépendent eux-mêmes de
cette question et ne peuvent être élucidés qu'à la lumière de celle-ci. Pour
n'en évoquer très rapidement qu'un seul, qui fera peut-être l'objet d'une suite
de cette étude, remarquons seulement quelle différence cela entraîne à propos de
l'amour, et plus précisément de l'amour de Dieu pour les hommes [1] :
si on admet que l'ampleur et la profondeur de cet amour doivent se mesurer à
l'ampleur et à la profondeur de ce que Dieu donne aux hommes, alors il
nous semble qu'un gouffre existe entre l'islam et le christianisme : car dans ce
dernier, et en lui seul, Dieu n'offre à l'homme rien de moins que Lui-même
: autrement dit, le maximum absolu du don, le don auquel aucun autre ne peut
seulement être comparé. Dieu, selon le christianisme, se donne en effet Lui-même
à l'homme, d'abord au travers de l'incarnation en un homme d'une Parole qui est
elle-même Personne divine.
* * *
Sur ce point comme
sur les autres, nous conclurons donc en disant que l'islam demeure très loin en
retrait, par rapport au christianisme. Sa conception d'une unité divine purement
immédiate est infiniment moins profonde, et osons le dire, moins vraie que la
conception trinitaire chrétienne : le Dieu de l'islam est infiniment moins un
que le Dieu du christianisme. De même sa conception de l'incarnation de la
Parole éternelle est aussi inférieure à la conception chrétienne qu'un texte est
inférieur à une personne.
Comme on le voit, nous disons les choses clairement, conformément à
ce que nous pensons être la vérité. Mais de même que nous avons pris la peine de
ne rien affirmer, sans avoir auparavant cherché et indiqué les raisons
justifiant l'affirmation, de même nous prions le lecteur de ne juger le résultat
de ce travail qu'après en avoir examiné, soigneusement et loyalement, tous les
éléments.